L'abus d'autorité reste toujours tabou

06 novembre

L'autorité "à la coréenne" est connue de tous mais reste l'un des plus grands tabous du pays. Il n'y a qu'en travaillant dans une société coréenne que l'on peut comprendre le système de fonctionnement des Coréens, comprendre leur façon de penser et d'obéir. Comment s'applique l'autorité ? L'obligation de boire à outrance, le harcèlement, les brimades, la pression constante, la violence physique... pour ne citer qu'eux. Certes, ils sont appliqués à des degrés divers et variés. Le plus fréquent concernera les "dîners" d'entreprises peut-être. Par dîner, il faut comprendre une sortie nocturne en trois étapes en moyenne : un barbecue, puis un bar, puis un karaoké.

2 024 heures de travail par an en Corée du Sud

Ou alors la pression qui pousse les employés à rester travailler tard au bureau, voire les weekends ; en moyenne, les employés sud-coréens travaillent 2 024 heures par an, soit la troisième moyenne la plus forte des pays de l'OCDE après le Mexique et le Costa Rica en 2017 (à titre comparatif, la France est à 1 514 heures). Problème, la productivité ne suit pas vraiment... Politiquement parlant, les choses bougent : le gouvernement a fait passer une loi réduisant le nombre d'heures maximales travaillées par semaine de 68 à 40 heures, avec 12 heures supplémentaires possible. Mais dans la pratique, si les grands groupes appliquent la loi, les PMEs passent largement entre les mailles du filet.

Les postiers sud-coréens manifestent afin d'améliorer leurs conditions de travail

En Corée, l'autorité, on la respecte, ou alors on s'en va. Voilà en gros le message. Le souci, c'est que quand on la respecte, on peut aussi en mourir. Le terme "Gwarosa" (과로사) illustre cela (mort par surcharge de travail). Certains excuseront l'abus d'autorité en mentionnant la société confucianiste qui veut que l'on porte le respect aux plus âgés (et ce même si l'autre est plus âgé de quelques secondes, comme c'est le cas entre jumeaux dont l'un des deux vouvoiera son frère ou sa sœur car il ou elle est né(e) après !). Un employé qui "répond" ou qui manque de respect à son supérieur hiérarchique sera recadré plus ou moins violemment. Il a toujours bon dos le confucianisme... le respect (la crainte ?) de la hiérarchie est une des premières choses que l'on apprend lorsque l'on naît ou que l'on vient travailler en Corée.



L'entreprise passe avant la famille. "Tu viens boire un verre avec l'équipe ce soir ?". Un "oui" et vous conservez votre statut de "membre du groupe" au sein de l'entreprise. Un "non" à répétition et vous serez critiqué en interne pour, à terme, ne plus recevoir de tâches gratifiantes. Imaginez alors ce que vivent les employées qui deviennent maman... elles sont rapidement mises sur la touche au profit de leur remplaçante ou de leurs collaborateurs. Les plus courageuses essayent de poursuivre leur activité professionnelle tant que possible (souvent à mi-temps) avec une double pression de la hiérarchie et de la vie privée, car l'enfant ne sera jamais une excuse à un retard ou une saute de concentration. La carrière des femmes se traduit d'ailleurs souvent en une courbe en M (20-30 ans l'emploi des femmes est au plus haut, 30-40 ans c'est la chute avec la naissance des enfants, 40-50 ans elles essayent de relancer leur carrière une fois les enfants à l'école, après 50 ans elles quittent tout pour prendre soin de la famille).



La violence est aussi une composante de l'autorité coréenne. Les filles du président de la compagnie aérienne Korean Air, Cho Yang-Ho, ont été prises en flagrant délit : insultes, agression physique... des harcèlements qui ont fait la Une des journaux ces derniers mois. La semaine dernière, c'est le patron de WeDisk et Hankook Mirae Technology, une société de stockage en ligne. Yang Jin-ho a été filmé en train de frapper et d'obliger de s'agenouiller, au sein même de son bureau, l'un de ses employés. Lors des sorties d'entreprises de 2016, par exemple, il faisait tuer des poulets par ses employés en les faisant tirer à l'arc ou utiliser un sabre japonais. Et afin d'en rajouter une couche, il apparaît que 90% des contenus stockés dans son entreprises portaient sur de la pornographie et qu'il supportait ce chargement de contenus en payant des internautes. Bref, un cas d'abus d'autorité typique mais qui cette fois a fait assez de bruit pour peut-être faire bouger le gouvernement sur les cas d'abus d'autorité.



Le groupe Gabjil119 (직장갑질119), une organisation de défense du droit des travailleurs, a par exemple reçu pas moins de 225 cas d'abus d'autorité sur des lieux de travail rien que sur le mois d'octobre. Les membres de cette organisation tentent de pousser le gouvernement à mettre en place une "loi contre Yang Jin-ho" afin de protéger tant que possible les employés coréens. Car si les assauts physiques ou le harcèlement sexuel sont considérés comme des actes criminels, le harcèlement moral et les insultes ne sont pas vraiment considérés.

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