Corée du Sud : vers un revenu universel en 2022 ?
11 novembreEn Corée du Sud, environ 150 000 personnes vivant dans la province de Gyeonggi, qui représente environ 13,35 millions d'habitants, soit un quart de la population du pays, et qui entoure la capitale Séoul, participent depuis 2019 à une expérience exceptionnelle : le Youth Basic Income Program. Le gouvernement provincial leur distribue, sans aucune justification demandée (par exemple employé, en recherche d'emploi, aide des parents, etc.), 250 000 wons, soit 190 euros, chaque trimestre.
Une expérience dont l'envergure est la plus importante au monde et qui pourrait changer la donne dans d'autres sociétés autour du globe. Ces personnes sont des jeunes, âgés de 24 ans, qui ont vécu dans l'une des 31 villes ou comtés de cette province soit pendant plus de trois ans de suite, soit pendant plus de 10 ans en cumulé. D'après deux enquêtes menées respectivement en juillet et novembre 2019 par l'institut de recherche de Gyeonggi, 80,6 et 82,7% des jeunes étaient satisfaits du programme.
Objectif ? Se projeter dans un avenir où un revenu de base (universel) sera versé à chaque citoyen et permettra de revoir le principe économique élémentaire du pays. Pourquoi à Gyeonggi ? Parce que son gouverneur, Lee Jae-myung, est actuellement dans la short-list pour devenir le prochain président de la République et veut rebattre les cartes pour faire avancer le pays vers un avenir plus prospère et plus proche du peuple. Selon lui, le COVID-19 a fait accélérer la 4e révolution industrielle et la société va faire face, plus rapidement que prévu, à la fin de l'ère ouvrière.
Cette initiative a attiré l'attention des députés à l'Assemblée nationale. Il faut dire que l'idée est loin d'être mauvaise. La Corée du Sud est l'un des pays les plus automatisés au monde et autour de 15% des emplois seront automatisés d'ici 2024 d'après un examen statistique du MIT en 2019. Et la province de Gyeonggi compte de nombreux hubs technologiques où les machines remplacent progressivement la force de travail humaine. On y trouve de nombreuses usines de Samsung Electronics, LG Electronics, Hyundai, etc. À terme, Lee souhaiterait donner autour de 500 000 wons, environ 380 euros, chaque mois aux habitants pour se préparer au mieux à un futur robotisé dans de nombreux secteurs.
En plein cœur de la pandémie, Lee a décidé de distribuer parallèlement une aide d'urgence à l'ensemble des 13 millions de personnes de sa province, nouveaux-nés et étrangers compris (entre 100 000 et 400 000 wons selon les foyers, entre 75 et 300 euros), afin de créer un effet de rebond lorsque l'économie était au plus bas. Point important : la province distribue une monnaie locale, qui ne peut être dépensée que dans le quartier où habitent les personnes afin de redynamiser l'économie locale. Pas d'utilisation possible dans les grandes chaînes et les magasins en franchise. Selon Korea Research, qui a réalisé une enquête auprès de 1 000 habitants de Gyeonggi, quelque 80% d'entre eux estiment avoir changer leurs habitudes de consommation en préférant les commerces de proximité plutôt que les hypermarchés.
Le revenu de base actuellement distribué à Gyeonggi, se présente sous la forme d'une carte de crédit baptisée Gyeonggi Pay. Chaque résident titulaire d'une carte doit dépenser la totalité du fonds offerts avant le prochain crédit, soit trois mois plus tard. Et les premiers résultats semblent être positifs, tant pour les bénéficiaires que pour les commerçants. Des jeunes qui devaient trouver des CDD pour toucher de l'argent afin de payer leurs études peuvent alléger leur charge de travail pour se concentrer sur leurs cours, et les marchés traditionnels ou restaurants de quartier voient de plus en plus de jeunes acheter leur produit ou consommer chez eux.
Selon l'institut de recherche de Gyeonggi, les commerces et restaurants qui acceptent Gyeonggi Pay ont vu leur revenu augmenter d'environ 53,6%. Toutes les transactions sont relevées par le siège gouvernemental de Gyeonggi qui analyse comment chaque won a été dépensé par la population. Si cette collecte d'information (une demande d'accord est signée avant de recevoir la carte de paiement) peut paraître controversée, car elle pourrait servir à des fins politiques, pour Lee Jae-myung, ces analyses sont la clés pour comprendre si ce plan de revenu universel est solide ou non. Les analyses se font sur des données agrégées et non individualisées, ce qui permet de ne pas violer les droits privés des individus.
Parmi les dernières initiatives visant à expérimenter davantage le revenu universel, Lee fait pression pour introduire un programme spécifique aux agriculteurs en offrant une certaine quantité de monnaie locale à tous les agriculteurs, individuellement et sur une base régulière.
Lee est actuellement en tête des sondages pour la prochaine présidentielle qui aura lieu en mai 2022. Surfant sur le succès de son initiative Gyeonggi Pay, il parle déjà de verser autour de 500 000 wons mensuellement à tous les sud-Coréens s'il est élu. Ce projet coûtera la bagatelle de 290 000 milliards de wons chaque année, soit 220 milliards d'euros. Et pour le financer, son administration élaborera un impôt sur les robots pour les industries qui automatisent leur production. Le gouverneur suggère aussi de prélever plus d'impôts sur le marché foncier, où la spéculation a alimenté des hausses exubérantes de prix, rapportant des bénéfices considérables aux propriétaires. Par exemple, 1% des impôts locaux collectés par les municipalités pourrait être utilisé comme source de financement.
Pour ceux qui s'opposent à cette initiative, les arguments sont son coût faramineux et le fait que les plus aisés n'ont pas à concerner ceux qui n'ont pas besoin d'aide. En réponse, Lee Jae-myung estime que chaque citoyen qui paye des impôts dans le pays doit pouvoir profiter de ce revenu universel. "Ce n'est pas une politique pour le bien-être social, mais une politique économique. Il ne convient donc pas d'écarter ceux qui payent beaucoup d'impôts".
Une enquête parue au mois de juin et menée par Realmeter auprès de 1 881 personnes de plus de 18 ans révèle que 48,6% de la population est favorable à la distribution d'un revenu de base, et 42,8% contre.
0 avis