COVID-19 : analyse détaillée de la stratégie sud-coréenne (partie 2)
28 novembreCette deuxième partie aborde la gestion de la crise au niveau de l'éducation et de l'économie au travers de trois grands chapitres :
1. Éducation : de la grande rentrée au Suneung
2. Économie : la stratégie des 3P et le New Deal à la sud-coréenne
1. Éducation : de la grande rentrée au Suneung
Depuis que le premier patient a été identifié à l'aéroport international d'Incheon le 20 janvier 2020, le gouvernement coréen s'est mis à travailler en étroite collaboration avec les autorités sanitaires d'un côté et avec les bureaux d'éducation des villes et provinces d'un autre, afin de trouver des mesures qui mettent la santé et la sécurité des étudiants au premier rang des priorités.
Pour ce faire, et comme cela était expliqué dans l'article "COVID-19 : analyse détaillée de la stratégie sud-coréenne (Partie 1)", l'exécutif a collaboré avec le Centre de contrôle et de prévention des maladies (KCDC) et le siège central de lutte contre les catastrophes et la sécurité (CDSCHQ) pour rapidement mettre sur pied au sein même du ministère de l'Éducation une équipe d'intervention en cas de pandémie. Et alors que le pays se retrouvait en première ligne en tant que deuxième État le plus contaminé au monde, cette équipe a été élargie et transformée le 21 février 2020 en un siège de réponse au COVID-19 dirigé directement par la vice-première ministre et ministre de l'Éducation, Yoo Eun-hye.
En consultation avec le gouvernement, les bureaux d'éducation municipaux et provinciaux, les autorités sanitaires et les experts en épidémiologie, ce siège a décidé le 23 février d'ajourner la date de la grande rentrée scolaire, le premier semestre commençant le 2 mars, en repoussant le début des cours au 9 avril comme mesure préemptive à une éventuelle propagation du nouveau coronavirus dans le pays, et afin de prendre le temps de mettre en place une prévention et un système de contrôle adéquats dans les écoles.
Pour protéger la santé et la sécurité des élèves et assurer la continuité de leur apprentissage, le gouvernement coréen a décidé de mettre en place des cours en ligne dans les écoles primaires, les collèges et les lycées à partir du 9 avril. Et pour s'assurer que tout se déroule dans le cadre du programme officiel d'éducation, l'État a élargi et cherché à améliorer son infrastructure publique d'éducation en ligne.
Parallèlement, des services gratuits de location d'appareils numériques et un soutien pour l'accès à Internet aux étudiants issus de familles à faible revenu ont été mis en place afin d'éviter tout angle mort dans l'apprentissage en ligne. Des cours en ligne personnalisés ont été fournis aux plus jeunes et aux élèves handicapés.
Selon les statistiques du gouvernement, au 20 avril, sur les 5,34 millions d'élèves d'écoles primaires, de collèges et de lycées en Corée du Sud, 98,9% ont suivi correctement les cours en ligne.
Au fil des semaines et en constatant les difficultés rencontrés par certains foyers, l'exécutif a lancé des écoles pilotes d'éducation en ligne, tout en sachant qu'elles feraient parties des moyens futuristes d'éducation à développer dans un proche avenir, et encouragé les enseignants à partager les informations et contenu des cours en ligne via la création d'une communauté de 10 000 enseignants représentatifs.
De plus, le gouvernement a recherché les meilleures pratiques en matière d'éducation en ligne en gérant des écoles pilotes et a encouragé les enseignants à partager des informations et le contenu des cours en ligne et à renforcer leurs capacités grâce à la Communauté de 10 000 enseignants représentatifs, une plateforme de communication conçue pour aider les enseignants à recevoir une assistance en temps réel pour gérer les difficultés et partager des programmes de cours, des politiques et des meilleures pratiques en ligne.
Le gouvernement a décidé de rouvrir les écoles, étapes par étapes, avec l'assouplissement de la distanciation sociale. Les élèves en classes de terminale ont ainsi pu reprendre le chemin des bancs le 20 mai. Ils ont été suivis par les classes de seconde, de troisième et les CP-CE1 le 27 mai, puis les classes de première, de quatrième et les CE2 et CM1 le 3 juin, et enfin les sixièmes, cinquièmes et les CM2 le 8 juin. Cette décision a été prise après avoir demandé l'avis d'experts en épidémiologie et du KCDC, ainsi que les opinions des parents et des enseignants. Depuis le 8 juin donc, toutes les écoles de Corée ont rouvert leurs portes.
Lors de la deuxième vague qui a frappé le pays entre mi-août et fin septembre, certaines écoles ont dû fermer leurs portes afin de limiter toute propagation de la maladie après des cas d'infection identifiés chez certains élèves. Au 2 septembre, plus de 8 200 établissements repassaient en cours en ligne avec 1 974 à Séoul, 758 à Incheon, 4 114 à Gyeonggi et 596 à Gwangju.
Mais le pays fait désormais face à une troisième vague beaucoup plus puissante que la précédente, l'hiver favorisant les activités en intérieur, dans des lieux pas forcément bien aérés, permettant une rapide propagation du COVID-19. Et à l'approche du Suneung, le fameux examen d'entrée à l'université (équivalent du baccalauréat en France), organisé cette année le 3 décembre, les autorités sanitaires sont sur les dents.
La ministre de l'Éducation a d'ailleurs pris la parole le 26 novembre pour s'adresser aux quelques 500 000 lycéens concernés : "Ce pays est déterminé à vous donner la chance de passer ce test même si vous êtes contaminé par le COVID19". 172 lits de traitement ont été spécialement réservés pour les jeunes qui pourraient avoir besoin de passer le test alors qu'ils sont en cours de traitement. Yoo Eun-hye a également souligné que 70% des infections des jeunes scolarisés provenaient d'une propagation intra-familiale et que les familles devaient donc faire très attention, voire se tenir à l'écart.
Il faut comprendre que le Suneung détermine d'une certaine manière l'avenir des jeunes sud-coréens. Si le taux de réussite est en moyenne de 70%, seulement 2% des diplômés remporteront l'ultime récompense : pouvoir intégrer les meilleures universités du pays qui leur ouvriront les portes des grands conglomérats nationaux. Le Suneung, c'est 12 ans de travail pour cette seule journée. Des semaines à 50 heures de bachotage, des prières continues de mères dans les temples bouddhistes ou les églises, des sacrifices financiers pour de nombreuses familles dès la plus jeune enfance afin que leurs progénitures soient les premiers. Une compétition constante qui n'est pas sans être liée à l'un des taux de suicide des jeunes les plus élevés au monde.
Les prochains jours s'annoncent donc cruciaux et un taux de réussite en forte baisse par rapport aux années précédentes pourrait déclencher la fureur des mères d'élèves, qui mettraient sans aucun doute cela sur le compte de la mauvaise gestion par le gouvernement des cours en ligne durant l'année scolaire.
2. Économie : la stratégie des 3P et le New Deal à la sud-coréenne
Selon les estimations du Fonds monétaire internationale (FMI), l'économie mondiale devrait se contracter de 5% en 2020 et le volume du commerce mondial chuter de 11%. Du côté de la Banque mondiale, c'est pire avec un recul de 7,7 points entre les prévisions de janvier, à 2,5%, à celle de juin, à -5,2%. Il ne faut pas sortir d'une grande école pour comprendre que la pandémie actuelle va provoquer l'une des pires récessions économiques depuis la Seconde Guerre mondiale et aura un impact sur la mondialisation.En raison de sa forte dépendance au commerce international, la Corée du Sud est extrêmement sensible aux facteurs externes et aux chocs causés par cette crise sanitaire. Beaucoup prédisent que la croissance économique du pays du Matin clair reculera de 1% en 2020. Fin novembre, la Banque de Corée a revu à la hausse ses prévisions de croissance du PIB pour 2020 à -1,1%, soit un gain de 0,2 point par rapport à ces dernières prévisions.
Les discussions ont porté sur les moyens de stabiliser le marché financier et des changes, d'améliorer les moyens de subsistance des populations, de gérer les risques externes, de soutenir les familles à faible revenu et les groupes vulnérables, de stimuler la consommation intérieure, de créer des emplois et de stimuler les économies locales. La finalité a toujours été d'émerger aux yeux du monde comme une économie de premier plan à l'ère post-COVID-19.
1. PROTECTION
Tout d'abord, pour le marché financier, le fonds de stabilisation du marché obligataire a été réactivé (comme en décembre 2008) afin de fournir des liquidités aux entreprises souffrant de difficultés financières temporaires. Par ailleurs, en utilisant les fonds communs entre les banques, les sociétés de valeurs mobilières et les sociétés d'assurance, d'importants investissements ont été effectués sur des obligations d'entreprise de haute qualité pour fournir rapidement des liquidités. Et un fonds de stabilisation du marché des valeurs mobilières a été créé en utilisant des investissements conjoints d'institutions financières pour servir de soupape de sécurité pour le marché boursier.
Enfin, pour défendre les économies locales, le gouvernement a débloqué 137 000 milliards de wons, environ 103 milliards d'euros, soit 60% des budgets municipaux, sur le premier semestre 2020, afin de minimiser tout risque de contraction. Parallèlement, davantage de "chèques-cadeaux régionaux", des monnaies ne pouvant être utilisées que localement, ont été émis pour favoriser la reprise des commerces régionaux, un coût supplémentaire pour les collectivités locales pris en charge par le gouvernement central.
2. PRÉSERVATION
Techniquement, le chef de chaque ménage était éligible pour demander les fonds et pour éviter les demandes excessives dans les premiers jours du système, les autorités ont élaboré un programme de 5 jours en système de rotation via lequel les candidats ne pouvaient s'inscrire que certains jours, en fonction du dernier chiffre de leur année de naissance. Résultat : entre le 30 avril et le 31 mai, 98,2% des foyers ont perçu le fonds en question. L'argent était viré sur une carte bancaire spécifique avec un temps limité pour le dépenser, solution pour relancer l'économie locale. À la fin du mois de juin, 91% de l'argent avait été réinjecté dans l'économie et les ventes des marchés traditionnels ont augmenté de 20% au cours de la même période.
Important également : toute la problématique de dédouanement. Les autorités se sont efforcées de faciliter le processus de dédouanement et de minimiser l'impact sur la chaîne d'approvisionnement. Des centres d'assistance sont ainsi opérationnels dans les principaux bureaux de douane du pays, fournissant une large gamme d'aide aux entreprises qui éprouvent des difficultés à sécuriser ou à exporter des matières premières ou des matières subsidiaires en raison de la fermeture d'usines à l'étranger.
Pour l'industrie automobile, une série de mesures a été adoptée pour contribuer à atténuer pleinement les difficultés rencontrées par les constructeurs automobiles. Ces mesures comprenaient l'achat précoce de véhicules destinés à être utilisés dans le secteur public (environ 8700 unités en 2020), le paiement jusqu'à 70% des acomptes pendant la phase contractuelle pour soutenir la demande intérieure et le report de la date d'échéance des droits d'importation sur les pièces automobiles et TVA jusqu'à 12 mois.
3. PRÉPARATION
Cette initiative se découpe en deux volets avec le New Deal numérique (Digital New Deal) et le New Deal écologique (Green New Deal) qui seront supportés par une enveloppe de 160 000 milliards de wons, soit environ 121 milliards d'euros, avec pour objectif une croissance économique relancée sur la base d'un filet de sécurité sociale plus solide.
3. Cafés, boulangeries, traceurs : la colère monte
Une étude réalisée par Yoo Myoung-Soon, professeur de communication en santé publique à l'Université nationale de Séoul, révèle que les traceurs, autrement dit les agents en charge de la recherche des cas contacts de COVID-19, sont au bord du burn out.
Après avoir mené cinq séries d'entretiens de groupe avec 20 traceurs de la province de Gyeonggi, qui entoure Séoul, entre le 24 octobre et le 7 novembre, il a été constaté que plus de 80% d'entre eux connaissaient des « niveaux élevés d'épuisement professionnel (burn out) » et que 100% estiment qu'ils travaillent beaucoup trop. Il faut souligner que ces traceurs effectuent des heures supplémentaires les jours de semaine et les weekends, souvent plus de 100 heures supplémentaires par mois, alors que les jours fériés et les vacances sont « rarement donnés ».
Selon certains, il est déjà arrivé qu'une journée débute à 7h du matin pour terminer le lendemain à 4-5h du matin, lors des pics des vagues épidémiques. Lors de l'un des entretiens, un traceur explique : « Lorsqu'une personne est nouvellement diagnostiquée comme porteuse du nouveau coronavirus, nous examinons des éléments tels que l'historique de sa carte de crédit, les données GPS de son smartphone et les enregistrements télévisés en circuit fermé des lieux visités. Cela ne me semble pas correct ». En effet, personne ne souhaite dévoiler ces informations, surtout à des inconnus. Mais la loi sur les maladies infectieuses oblige la mise à disposition de ces informations aux personnes compétentes.
Autre élément souligné par le professeur Yoo : les traceurs ne sont pas rémunérés équitablement. Selon lui, "la recherche des cas contacts ne peut pas être en mesure de rattraper la demande croissante en traçage sans une compensation appropriée ou une augmentation du personnel." Un sujet d'actualité, d'autant plus que la Corée du Sud est au cœur d'une troisième vague d'infection, beaucoup plus virulente que la deuxième, qui a eu lieu entre mi-août et fin septembre.
Les propriétaires de cafés se lâchent : « Je n'arrive pas à comprendre pourquoi certains commerces, où les gens peuvent rester plus longtemps pour boire et manger sans porter de masque que dans les cafés, sont moins restreints que nous ». Ou encore : « Il est absurde d’interdire un service de restauration dans un café malgré les efforts de distanciation physique et l'installation de cloisons entre les tables, tout en permettant aux restaurants de fonctionner normalement ».
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